De la médiation artistique au projet personnalisé

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Educatrice spécialisée à la maison des Adolescents de Saint-Denis (CASADO), j’encadre avec une autre collègue (psychologue, éducatrice), en plus du travail d’accueil, des ateliers de médiation artistique. Ces ateliers sont, pour moi, une aide à la relation auprès des adolescents qui bien souvent n’expriment aucune envie, aucun désir : « tout va bien », « je ne sais pas », « c’est nul », « j’ai pas envie ». Ils nous apparaissent plus ou moins perdus. Cela illustre notamment les propos de Marie-Rose Moro lorsqu’elle dit : les adolescents « cherchent une place non seulement au sein de la société mais aussi de leur famille ou de l’école ». C’est pour cela, qu’il semble nécessaire de leur apporter des points de repères, une constance par notre présence.

En tant que professionnelle, trois points me semblent essentiels dans la mise en œuvre des ateliers :

- la notion de cadre,

- la notion de temporalité et

- la notion de lien (rencontre).

Je vais tenter de manière succincte de préciser en quoi les ateliers peuvent être un outil précieux dans mon travail d’accompagnement.

Pour cela, je vais m’appuyer essentiellement sur deux ateliers : l’atelier voyage et l’atelier matières et déco.

Lors de l’atelier voyage, les jeunes collectent différents éléments (images, photos, textes…) relatifs à un pays ou à une ville. Puis, ils matérialisent leur voyage en collant sur un  panneau le fruit de leur recherche pour ensuite partager avec les autres jeunes du groupe leur intérêt pour la « destination » choisie.

L’atelier matières et déco est une activité à la fois manuelle- par la  découverte de différents supports ou matériaux (peinture, argile, décopatch, mosaïque…) et culturelle – par la création d’objets (statuettes, masques, peintures, estampes…)  relatifs à l’Art de 4 continents (Asie, Afrique, Océanie et Europe).

 

LE CADRE

Lorsque  j’évoque le cadre, je pense à la présence stable et constante des adultes qui animent l’atelier, au lieu fixe, au jour et heures repérés (cadre spatio-temporel) ainsi qu’au respect de règles communes. Par ce dispositif, nous essayons de rendre ce moment d’échanges, suffisamment sécure et contenant pour que les adolescents puissent  se sentir bien. Jean BOUSTRA[1] (Psychiatre, psychanalyste) écrit que «  l’atelier d’expression doit être situé à demeure dans un espace stable, avec des portes et des fenêtres qui s’ouvrent et se ferment. Il ne peut se confondre avec un camp volant installé et défini à la hâte dans un coin de cafétéria, ce qui ne permet pas la présence et la disponibilité des animateurs » et n’y de l’intérioriser.

Le lieu et l’investissement de cet espace semble donc primordial et doit être suffisamment pensé,  car « loin d’être un espace standard, …, un atelier d’expression doit être une scène intersubjective qui a été rêvée au préalable dans un sens qui rejoint inconsciemment une rêverie maternelle en attente d’un enfant ».

Ainsi, au sein de CASADO, nous avons une pièce consacrée aux ateliers, décorée aujourd’hui par les productions des jeunes et investie par tous dans cette fonction.

 

LA TEMPORALITE

Cette notion est importante à prendre en compte lorsque nous pensons un atelier d’expression. En effet, notre travail auprès des adolescents nous a appris qu’une grande majorité d’entre eux s’inscrivent dans l’ici et maintenant, avec une difficulté à différer et à se projeter dans l’avenir.

Ils souhaitent souvent une réponse immédiate à leur demande. De plus, nous accueillons de nombreux jeunes déscolarisés dont les journées ne sont plus régulées par le temps scolaire et se trouvent donc « décalés » dans le rythme social.

Aussi, lors de l’élaboration de  l’atelier voyage et de l’atelier matières et déco, nous avons tenu compte de ces différents constats. Par exemple, pour l’atelier Voyage, les adolescents réalisaient des panneaux à l’aide de différents matériaux nécessitant plusieurs séances pour les finaliser. Ensuite, pour signifier la fin de cet atelier, nous avons réalisé une exposition dans notre salle d’accueil (valorisation narcissique et ponctuation de leur travail).

Pour l’atelier Matières et Déco, nous avons aussi rythmé les séances. Outre, une ouverture sur le monde extérieur par la découverte des Arts de 4 continents, nous avons pensé cet atelier en cycles. Ceux-ci sont de trois mois et finalisés par une visite-atelier  dans un musée correspondant à la thématique abordée.

Cette régularité temporelle peut donc leur permettre de se projeter dans un avenir avec l’idée d’un début, d’un milieu et d’une fin et d’aborder les notions de progression et de continuité dans l’action.

Mais ces temps de rencontre hebdomadaires sont surtout favorables à une possibilité d’établir une relation d’écoute et de créer un lien.

 

LA RENCONTRE - LE LIEN

Les ateliers de médiation artistiques sont pour nous un support supplémentaire et parfois essentiel pour tisser un lien avec certains adolescents. En effet, le fait que nous les rencontrions de manière régulière, dans un cadre contenant au moyen du support qu’est l’activité (la médiation) autorise d’une part les allers-retours du jeune vers l’institution (aucune obligation pour le jeune de venir à Casado) et d’autre part une double inscription :

Inscription  du jeune dans l’institution et auprès des professionnels qui y travaillent.

Inscription du jeune dans le groupe. Cette dimension ne doit pas être sous-estimée lors des médiations.  Car le groupe serait une enveloppe qui fait tenir ensemble les individus. De plus, nous devons veiller à ce que ce groupe soit suffisamment « bon » pour accueillir, soutenir et sécuriser. D’ailleurs, pour  D. ANZIEU[2] « le groupe serait par essence féminin et maternel ». Cependant, là encore la notion de temps est essentielle pour que le groupe se construise et que s’instaurent ce climat suffisamment bon pour que les adolescents créent des liens entre eux et avec les adultes. Et enfin que la notion de plaisir puisse se manifester. Ceci d’autant plus que les jeunes n’accordent pas leur confiance d’emblée. En effet, leur venue à la maison des adolescents se fait souvent sous l’impulsion des parents voire des professionnels (assistante sociale scolaire, CPE, éducateurs…). Aussi, ils semblent se protéger, lors de l’intégration dans le groupe par l’abord de sujets communs ou la présence de stéréotypies tels que les questions identitaires, la violence … et peu  évoquent, dans un premier temps, leurs difficultés. Cela peut rejoindre les propos de serge Boimare lorsqu’il explique l’empêchement de penser chez certains enfants ou adolescents. Pour lui, leur pensée est bloquée et 3 leviers, la Culture, le Langage et le Groupe, peuvent  permettre la restauration de celle-ci en les aidant à renouer avec « leur dimension interne ». « Le langage est le moteur qui relance la machine à penser et la culture est le carburant de la machine à penser »[3] .

Ainsi, j’ai le souvenir d’un jeune qui ne peignait que des drapeaux lors de l’atelier matières et déco. Il a mis du temps pour se dégager de cette représentation stéréotypée et répétitive et pouvoir élargir sa création. Une fois, nous pensions avec ma collègue qu’il avait dépassé  le cap en réalisant un panneau sur l’Asie. Or la semaine suivante, il a peint le fond en bleu-blanc-rouge. Il lui a fallu encore quelques semaines pour s’ouvrir à une autre forme d’expression (toujours avec la présence de stéréotypies mais plus dans une identification au chanteur Mickaël Jackson). Parallèlement, nous avons constaté qu’il parlait davantage avec nous et les autres jeunes de Casado, qu’il s’interrogeait sur différents sujets, jusqu’au jour où il a pu dire sa souffrance et exprimer une demande d’aide.

 

Ce travail d’étayage et d’accompagnement dans ces ateliers peut donc permettre l’émergence d’une demande et de ce fait nous amener à travailler sur un projet personnalisé qu’il soit thérapeutique, social ou scolaire et cela dans une « temporalité ouverte ». L’adolescent ne doit pas être encombré par une pression quelle qu’elle soit et il apparaît nécessaire de le laisser cheminer  sur son parcours qui sera plus ou moins long et sinueux. Ceci pour qu’il puisse s’affirmer, se singulariser et parler en son nom, c'est-à-dire devenir sujet de son histoire.

                                                                       Isabelle MONEL-LAGZOULI

 


[1] J- BOUSTRA, l’abécédaire de l’expression, Paris, Erès, 2007

[2] D, ANZIEU, Le groupe et l’inconscient, Paris, Dunod, 1976, P 182

[3] S, BOIMARE, L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, 1999

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